Voici la manière dont Agnès Desarthe, qui se définit comme « écrivain pour tous les âges », répond à la question d’un journaliste de l’hebdomadaire Télérama (n°3736 paru le 18 août 2021, p.6), « Comment disciplinez-vous votre imagination, lorsque vous écrivez ? » :
« À mes débuts, je faisais des plans, mais je me suis vite aperçue que dès la troisième page j’étais à un kilomètre de l’axe. Alors je me suis mise à considérer le roman comme une une grande traversée à bord d’un navire. Je commence par faire provision : j’absorbe le monde autour de moi, avec une petite arrière-pensée. Une idée apparaît, comme une bulle qui éclate, souvent complètement saugrenue, qui ne ressemble jamais à ce que j’aurais prédit. Mon prochain livre a toujours une tête d’intrus. Puis je me mets vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans un état de transe. Le mot n’est pas trop fort. En apparence, cela ne se voit pas, je suis normale. Mais dans ma tête, il y a comme un théâtre, avec des gens qui parlent, se rencontrent, se disputent. Je prends note de leurs conversations, à la main, dans le désordre. Soudain, la transe prend fin. Alors arrive une phase plus statique, où j’ai l’impression d’être assise sur un quai de gare, et d’attendre. Je regarde les trains qui s’arrêtent et je me dis : « Non, pas celui-là… Pas celui-là non plus… » Ces trains sont des phrases qui viennent puis repartent. Jusqu’à ce qu’une phrase arrive et que je me dise : « Avec elle, je peux aller quelque part. » Là, je monte à bord et je passe à l’ordinateur pour l’écriture finale. »
La langue utilisée par Agnès Desarthe dans cet extrait d’interview pour décrire sa démarche créative est d’abord d’une très grande richesse métaphorique : « une grande traversée à bord d’un navire », une idée qui apparaît « comme une bulle qui éclate », un livre à venir qui « a toujours une tête d’intrus », « dans ma tête, il y a comme un théâtre », « j’ai l’impression d’être assise sur un quai de gare » et « je regarde les trains qui s’arrêtent »… et là « je monte à bord ». Tout cela donne très envie de mener un dialogue pédagogique avec elle pour explorer les évocations et les projets de sens qui la mènent à s’exprimer d’une telle manière !
Mais à un moment de cet extrait, Agnès Desarthe dévoile quelques étapes de son fonctionnement mental, quand elle nous dit « dans ma tête, il y a comme un théâtre, avec des gens qui parlent, se rencontrent, se disputent », puis « j’ai l’impression d’être assise sur un quai de gare, et d’attendre » : après la phase de jaillissement évocatif aux modalités multiples, un moment d’attente, beaucoup plus calme et distancié, qui semble presque passif (« je regarde les trains qui s’arrêtent »), où « ces trains sont des phrases » ; et enfin, un ultime engagement où l’auteur « monte à bord » et exprime magnifiquement le projet qui l’anime : « Avec elle, je peux aller quelque part ». Et là, évidemment, on a hâte de lui demander : « Qu’est-ce pour vous que ce « quelque part » ? Pourriez-vous le décrire ? Comment faites-vous vivre mentalement ce qui semble être une finalité dans votre démarche de création ? »…
Vous pouvez accéder à l’interview intégrale ici